Bienvenue à Landon

Une intention

Patrick Kermann donne la parole, dans La Mastication des morts, aux habitants décédés d’un petit village, confiant tour à tour leurs secrets, méfaits, frustrations, amours…

Mais comment faire parler ceux qui ne sont plus là ? Comment éviter l’écueil de l’incarnation qui est nécessairement celui du passage de ces voix au plateau ?

Après une première version de ce texte (“Fais pas la tête, Pauline, on ne meurt qu’une fois”) sous une forme courte (20mn) présentée au festival de plein air Court’Théâtre et couronnée par le Prix du Public, la compagnie Roule Ta Malle a souhaité prolonger ce travail par un hommage à ces morts reposant sur le jeu et la distanciation

Une formation resserrée, 4 femmes et 1 homme, joue les personnages aux dés, se lance des défis, endossant plusieurs rôles chacun, pour mieux rendre vivante cette parole. Si les morts sont présents sur scène, ils ne sont que des mots, étendus sur un grand « mur des noms » bariolé qui sert de décor principal, et dont les vivants s’emparent pour évoquer, en creux, la nécessité et l’urgence de vivre pleinement. Une économie de moyens (une couronne, des variations entre lumière et obscurité) matérialise le passage d’un monde à l’autre.

Un choix de texte a été opéré resserrant le spectacle (environ 1h-1h15) autour de 5 tableaux (« Présentation », « Au café », « La toilette des morts », « Révélations », « Partie de campagne ») permettant d’alterner les registres, du pathétique au comique. De même les prises de parole monologuées alternent avec un travail très choral de textes dits en collectif, chantés, ensemble ou en canon, afin de mettre en lumière la poésie et le rythme de l’écriture de l’auteur.

Dire la vie et la beauté des mots par le récit des petits bonheurs et grands malheurs des défunts, donner force et vigueur à la parole théâtrale par la mise en abyme, tels sont les grands principes qui ont guidé cette mise en scène collective.

Le collectif, justement, est aussi un choix réfléchi : celui d’un partage, entre humains, de questionnements et d’émotions, sur ce qui est notre premier dénominateur commun : l’horizon de notre mort. Pourtant, si « leçon » il y a et si elle peut être grave, elle ne sera pas triste, et le spectateur goûtera les mille anecdotes, aussi cocasses qu’inattendues, profondes que troublantes que recèlent ces récits.

Et plus encore…

Notre société cache la mort. On ne veille plus les morts. On en a honte, on en a peur. Et pourtant elle est partout dans l’industrie du divertissement. Elle est souvent neutralisée, traitée sous la forme irréelle du spectacle.

Notre proposition n’est pas de jouer aux morts. Elle n’est pas d’incarner la mort. Elle vise au contraire à l’acter, à l’écouter, à dialoguer avec elle. Rester lucide ! Ne pas se cacher derrière l’idée d’un haut delà dans lequel nous serions immortel. Ne pas se rassurer en croyant qu’un jour la science trouvera le moyen de nous rendre immortel. Juste faire face et se réjouir d’avoir à mourir un jour.

Regarder la mort en face. Rester les humains que nous sommes. Repousser les limites de la mort, c’est se deshumaniser soi-même ! Réjouissons-nous alors d’avoir encore à mourir !

Pour raconter cela, rien ne peut servir de meilleur support que le texte de Kermann ! Situé dans ce petit village de Landon, il nous donne l’ancrage nécessaire. On peut se contenter des humeurs et ragots, mais on peut aussi s’en servir retrouver nos/des racines.

Ne pas regarder la mort en face, c’est ce déraciner de notre propre humanité. Dialoguer avec les défunts de Landon, c’est la retrouver.
Oui, on a le droit d’en parler, de la moquer, ou de la sublimer, car c’est avant tout s’autoriser à renouer le dialogue avec notre propre humanité, car c’est aussi se donner la possibilité d’en redevenir acteur.

Nos références

“Le tout dernier été”, Anne Bert, édition Fayard, 2017.
“L’éclipse de la mort”, Robert Redeker, édition Desclée De Brouwer, 2017.

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